27
Contrairement à la première partie de son séjour, le temps que Rhapsody passa chez l’Invocateur avec ses deux compagnons fut un vrai parcours d’obstacles. Ni Achmed ni Grunthor ne souhaitaient être vus des fidèles en permanence à proximité de l’Arbre.
Gwen et Vera étaient terrifiées par les deux hommes, Gwen tout particulièrement, à qui échut la tâche délicate de leur confectionner de nouveaux vêtements. Après un essayage avec Grunthor, Rhapsody fut en mesure de mettre en application le nouveau savoir médical qu’elle avait acquis de Khaddyr, pour soulager les palpitations de la gouvernante.
Dès qu’ils furent équipés et ravitaillés, ils s’apprêtèrent à prendre congé. Llauron eut l’air désolé de les voir partir.
« Où allez-vous, maintenant, ma chère ? demanda-t-il à Rhapsody, qui regardait les hommes charger les sacoches pour le voyage.
— Vers l’est », dit-elle simplement. Elle eut la prudence de ne pas lui révéler qu’Achmed et Grunthor voulaient trouver les Dents et le royaume des Firbolgs. Ce n’était pas là un projet qui l’enchantait.
Les trois compagnons avaient beaucoup parlé la nuit précédente, débattant de la suite du programme, mais Achmed avait refusé de lui donner les raisons de son choix, déclarant qu’ils en discuteraient une fois qu’ils auraient quitté les terres de Llauron.
Ils étaient convenus, à l’issue d’un débat mouvementé, de rester ensemble jusqu’à ce qu’ils acquièrent une meilleure connaissance de la configuration des lieux. À ce moment-là ils détermineraient où Rhapsody vivrait désormais. Après avoir espéré si longtemps retourner sur l’Île, elle n’avait pas encore tout à fait assimilé l’idée de rester pour toujours dans le nouveau monde.
Llauron regarda par-dessus son épaule les Firbolgs s’activer. « Vers l’est, hmm ? Eh bien, si c’est le cas, pourquoi ne vous donnerais-je pas une lettre d’introduction auprès de mon cher ami, monseigneur Stephen Navarne. C’est le régent de la province la plus à l’est, il est même duc, pour tout vous dire. Un bon gars, je pense qu’il vous plaira. Et je sais que vous lui plairez aussi. »
Ses yeux étincelèrent un instant. Rhapsody n’était pas certaine d’apprécier l’allusion que semblait contenir cette remarque, mais elle décida de l’ignorer.
« Vous trois », ajouta Llauron, comme lisant dans ses pensées.
Rhapsody eut l’air embarrassé. « Un duc ? Vous voulez que je – que nous demandions l’hospitalité à un duc ?
— Oui, pourquoi pas ? »
Un voile écarlate passa sur les joues de la jeune femme. « Llauron, pouvez-vous me dire pour quelle raison un duc autoriserait une personne de mon rang ne serait-ce qu’à passer la porte de sa demeure ? Je ne suis pas exactement de sang royal. »
L’effroi s’insinua dans son estomac de la même manière que le sang affluait à ses joues. Elle espérait que Llauron n’avait pas deviné son passé de courtisane. L’Invocateur semblait savoir d’elle des choses qu’elle-même ne soupçonnait pas.
Llauron lui offrit un sourire paternel. « Stephen n’a que faire des pièges du lignage. En plus d’être un garçon agréable, il est aussi un peu historien. Si vous êtes intéressée par l’histoire cymrienne et que vous souhaitez en savoir plus, c’est l’homme qu’il vous faut. C’est lui qui a la charge du Musée cymrien. Je sais qu’il serait ravi de vous le faire visiter. Je doute qu’il ait encore beaucoup de demandes.
— Vraiment ? » répondit Rhapsody d’un air distrait, absorbée par le spectacle de ses compagnons. Tandis qu’Achmed fabriquait de nouveaux disques pour son cwellan, Grunthor de son côté semblait avoir obtenu de nouvelles armes de Gavin, notamment une longue épée à lame courbe qu’il appelait un encocheur. Il s’évertuait à ranger sa récente acquisition parmi l’éventail de lames qui se déployait à l’arrière de son paquetage, lui donnant des airs de fleur vénéneuse aux pétales mortels.
Elle se concentra de nouveau sur l’Invocateur et lui sourit. « Ce serait très agréable, j’en suis sûre. À quelle distance d’ici se trouve sa demeure ?
— Entre trois et quatre jours de marche. »
Le vieillard la prit par les épaules. « Ecoutez-moi, Rhapsody. J’espère que vous avez apprécié votre séjour parmi nous. J’ai beaucoup aimé vous avoir chez moi.
— Ce fut merveilleux, affirma-t-elle avec sincérité, en relevant la capuche de sa cape neuve. Et j’ai tant appris. Que puis-je faire pour vous remercier de votre gentillesse ?
— Il y aurait bien une chose, dit Llauron, redevenant soudain sérieux. Lorsque vous arriverez chez monseigneur Stephen, remettez-lui cette lettre de ma part. Je lui demanderai de vous prêter le manuscrit de la langue des Anciens Serennes. En tant que Baptistrelle, vous apprenez les langues étrangères avec beaucoup de facilité, j’en suis certain, et sa base linguistique est très musicale. Vous ne devriez pas avoir la moindre difficulté à l’étudier.
» Je voudrais que vous fassiez cela, ma chère, afin que nous puissions communiquer dans cette langue. Maintenant que vous connaissez l’histoire des Cymriens, et l’instabilité qui menace à nouveau de diviser cette terre, j’espère que vous accepterez de m’aider en étant mes yeux et mes oreilles dans le monde, et en me rapportant ce que vous aurez appris. »
Rhapsody le considéra avec surprise. Llauron avait des centaines d’éclaireurs et de forestiers à son service. Elle ne pouvait imaginer en quoi ses propres efforts seraient d’une valeur quelconque.
« Je serai ravie de vous aider, Llauron, mais...
— Bien, bien. Et rappelez-vous, Rhapsody. Bien que vous ne soyez pas de sang royal, vous pouvez être utile à une cause royale.
— Qui serait la protection de la Nature et du Grand Arbre Blanc ?
— Eh bien, oui, ainsi que ses aspects politiques.
— Je ne comprends pas. »
Les yeux se Llauron se mirent à briller d’impatience, même si sa voix demeurait apaisante. « La réunification des Cymriens. Je pensais avoir été clair. De mon point de vue, rien ne nous sauvera de la destruction ultime, avec tous ces accès de violence inexpliquée et ces actes de terreur anarchiques, si ce n’est la réunion des factions cymriennes, Roland et Sorbold, et même peut-être des terres bolgs, sous l’égide d’un nouveau seigneur et de sa dame de lignage cymrien.
» L’heure est presque venue. Et bien que vous soyez une paysanne – ne le prenez pas mal, la plupart de mes disciples sont des paysans – vous avez un joli visage et une voix persuasive. Vous pourriez m’être d’une grande aide, dans la réalisation de ce projet. »
Rhapsody était éberluée. « Moi ? Mais je ne connais personne. Je veux dire, comme vous le savez, nous ne sommes pas d’ici. Qui m’écouterait ? Llauron, avant de vous connaître je n’avais même jamais entendu parler des Cymriens. »
L’Invocateur lui prit la main et la tapota d’un air rassurant. « Quiconque vous regardera n’aura pas le choix, ma chère. Vous êtes très plaisante à contempler. Maintenant, s’il vous plaît, dites que vous ferez ce que je souhaite. Vous aussi vous voulez voir la paix revenir sur cette terre, n’est-ce pas ?
— Oui, répondit-elle, se demandant pourquoi elle s’était soudain mise à trembler.
— Et cette violence qui aujourd’hui même tue et mutile tant de femmes et d’enfants innocents... Voilà une chose à laquelle vous voudriez mettre un terme ?
— Bien sûr. C’est juste que je ne vois pas...
— Très bien, Votre Altesse, on est prêt », l’appela Grunthor.
Achmed lui adressa un signe de tête un peu brusque en jetant son paquet sur son épaule.
Rhapsody adressa un dernier regard à Llauron.
« Qui projetez-vous de mettre sur le trône ? demanda-telle.
— Personne ; c’est au conseil d’en décider. Rappelez-vous les récits que je vous ai faits, au sujet de la philosophie cymrienne, de leur mode de vie. Le seigneur et sa dame étaient choisis pour leur capacité à régner, et bien que cela nécessite un minimum de noblesse, cela ne se trouve pas dans le lignage d’une famille particulière, comme c’est le cas pour d’autres nations.
» Rappelez-vous simplement ce que je vous ai dit des sentiments négatifs que certains nourrissent à l’égard des Cymriens, aussi restez discrète dans vos enquêtes. Ceux d’ascendance cymrienne le crient rarement sur les toits. Et ceux qui ne le sont pas verront les choses comme moi, comme une philosophie propre à réunir les nations fragmentées de ce pays, maintenant que Gwylliam et Anwyn ne sont plus. Tenez-moi au courant de vos progrès.
— Je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous attendez de moi.
— Nous partons », lui cria Achmed.
Un large sourire se dessina sur le visage de Llauron. « Toujours ce goût des bonnes manières, n’est-ce pas ? Eh bien, laissez-moi vous mener à lui, que je lui fasse mes adieux. Bon voyage, ma chère. Donnez-moi juste un instant, je vous rapporte cette lettre. »
La forêt à l’est des terres de Llauron était plus clairsemée et plus jeune que les bois épais et primitifs qui servaient d’écrin au Grand Arbre Blanc. Ils commencèrent par revenir sur leurs pas, descendant la route de la forêt au-delà du village de Tref-Y-Gwartheg et bifurquant au nord-est dans le but d’éviter tout contact avec les habitants.
Au cours de son séjour chez Llauron, et tout particulièrement en compagnie de Gavin, Rhapsody avait découvert que la forêt occupait l’équivalent de la moitié orientale de son île natale, et que les bois lirins au sud étaient trois fois plus étendus.
Elle avait beau avoir entendu parler, enfant, de forêts de la taille de nations, jusqu’à présent elle n’en avait jamais vues. Il lui paraissait en quelque sorte ironique de se retrouver entourée d’arbres, après leur périple sur la racine.
Il leur fallut pratiquement deux jours pour localiser la route nord de la forêt qui reliait le haut de la province de Gwynwood à celle de Navarne, terre partiellement boisée, mais de bosquets plus rachitiques que ceux auxquels elle s’était habituée.
Bientôt, l’étreinte implacable des bois se transforma en groupes de fermes et en petites villes, bâties avec la même simplicité de moyens et cette ingéniosité qui étaient la marque de fabrique des fermes vivrières de Gwynwood. Navarne était une zone plus densément peuplée, et la route était beaucoup plus fréquentée, alternant voyageurs à pied et chars à bœufs, ainsi qu’un chariot à foin de temps à autre, tiré par des chevaux de halage.
Tandis que la forêt s’éclaircissait, il devint de plus en plus difficile pour les compagnons de demeurer cachés. Ils décidèrent finalement de marcher autant que possible à couvert des bosquets et de ne prendre la route à proprement parler que lorsqu’ils n’avaient pas d’alternative.
À quelques kilomètres dans les terres de Navarne, alors qu’ils étaient toujours dissimulés par les maigres bois longeant la route, ils croisèrent un groupe d’enfants de paysans en train de s’ébattre au bord du chemin. Rhapsody s’approcha pour les observer avec attention, tandis que Grunthor et Achmed reculaient dans les buissons.
Les enfants, n’ayant pas conscience qu’on les épiait, riaient et couraient sur la route, jouant à s’attraper, ou à un jeu qui y ressemblait. Autour d’eux des fermiers et des chariots passaient dans la boue, les aspergeant parfois de crasse, ce qui les rendait hilares.
Un sourire se dessina lentement sur le visage de Rhapsody tandis qu’elle espionnait les petits paysans s’amusant sous le soleil d’hiver. Il y avait dans leur joie quelque chose qui vint chatouiller son cœur atrophié, le libérer quelque peu de son étau, rendant sa respiration à la fois plus aisée et plus douloureuse.
Il y avait en eux une innocence, une ode insouciante à la Nature reprenant ses droits dans le dégel, qui fit résonner ses propres souvenirs. Tandis qu’ils attrapaient à pleines mains l’argile du bourbier qu’était devenue la route et qu’ils se la jetaient à la figure, elle ressentit l’envie irrésistible d’aller jouer et courir avec eux. Le chagrin bâillonné depuis si longtemps par la remarque acerbe d’Achmed lui serra le cœur, puis se dissipa sous le vent doux et chaud.
À la périphérie de sa conscience et de son champ de vision, vers l’ouest, elle entendit le martèlement des sabots d’un cheval, dont le fracas était assourdi par la terre molle. Rhapsody regarda en direction du vacarme et vit un groupe de voyageurs sur la route qui fixaient comme elle l’étalon arrivant au triple galop, un cheval de guerre bardé de noir qui descendait la route de la forêt.
Absorbés par leurs jeux, les enfants ne le virent pas immédiatement, jusqu’au moment où une des deux femmes dans une charrette de foin poussa un cri d’effroi. L’homme qui menait la caravane fit des gestes frénétiques en direction des enfants qui restaient figés comme des statues au milieu de la route. Le cavalier qui chargeait ne faisait pas mine de ralentir.
Avant que Grunthor eût pu l’en empêcher, Rhapsody bondit de sa cachette sur la chaussée boueuse ; dispersant les enfants comme des pommes de pin et s’interposant entre eux et la monture qui arrivait en sens inverse. Un hennissement retentit et une masse de chair suante gronda au-dessus d’elle. Elle se couvrit instinctivement la tête et le cou, anticipant l’impact.
D’un violent mouvement tourbillonnant, le cavalier reprit le contrôle de l’animal paniqué, tout en marmonnant des jurons ignobles. Lorsque le cheval s’immobilisa en piaffant, l’homme baissa sur elle un regard bleu azur brûlant d’une rage irrépressible.
« Par le sang de Dieu, femme ! lui hurla-t-il d’en dessus. Je t’écraserais sur-le-champ, si je ne craignais pas d’abîmer mon cheval. »
Rhapsody se releva lentement et leva les yeux vers le cavalier. Sous sa capuche, les yeux de la jeune femme étincelaient de ce feu qui leur donnait la couleur d’une prairie sous le plein soleil de l’été. L’espace d’une seconde, le visage de l’homme, distordu par la fureur, sembla se relâcher, comme surpris par l’intensité de la réaction de la jeune femme. Des jurons datant de ses années de rue jaillirent de la bouche de Rhapsody, malgré elle. « Si vous prendre par-derrière deux fois par jour n’a pas tué ce cheval, il peut tout supporter », gronda-t-elle en le fixant droit dans les yeux.
Le visage de l’homme encaissa le choc, auquel succédèrent des signes d’amusement. La visière de son heaume était relevée mais il le retira complètement pour observer la petite femme qui se tenait devant lui sur la route.
Il avait le visage d’un homme d’âge moyen, bien que son corps musclé parût plus jeune avec sa chevelure et sa barbe d’un noir d’ébène striées de fils d’argent. Il avait la figure large, avec des traits étrangement familiers, même si Rhapsody était certaine de ne jamais l’avoir rencontré. Il portait une fine cote de mailles aux anneaux noirs entrelacés d’argent scintillant et de magnifiques épaulettes d’acier desquelles pendait une lourde cape noire, qui tourbillonnait derrière lui.
« Tss, tss, tss, un tel langage dans la bouche d’une dame, dit-il d’un ton condescendant et sarcastique. Madame, vous m’en voyez consterné.
— Non, monsieur, c’est vous qui êtes consternant, répliqua Rhapsody en redressant les épaules. En outre vous êtes sans doute aveugle. Vous n’avez pas vu ces enfants qui jouaient sur la route ?
— Si, répondit le soldat en se reculant quelque peu sur sa selle, son sourire s’élargissant soudain en une expression dont il n’avait pas l’air très coutumier.
— Et je suppose qu’il ne vous a pas effleuré l’esprit de ralentir, voire de les éviter ?
— Eh bien, non, pour tout vous dire. J’ai observé d’expérience qu’ils se poussent en général d’eux-mêmes, devant un cheval qui charge. C’est une leçon à leur apprendre le plus tôt possible.
— Et s’ils n’avaient pas pu s’écarter ? hurla-t-elle. Si vous les aviez renversés ? »
Le soldat haussa les épaules. « Des obstacles de si petite taille ne peuvent blesser un cheval. Je m’étonne de l’avoir un instant oublié avec vous. Vous n’êtes pas bien imposante vous-même. »
Un cri de rage strident retentit et une poignée de terre vint cingler le visage et le torse de l’homme. « Descendez un peu pour voir, que je vous détrompe, vociféra-t-elle, la main à l’épée.
— Ouais, et s’il reste quelque chose quand vous en aurez fini avec lui, duchesse, on pourra p’t-être se le faire à souper », lança une voix de stentor, depuis la lisière de la forêt.
L’homme se retourna pour voir le géant firbolg surgir des fourrés, les mains posées sur les hanches. Le cheval de trait accroché à la charrette de foin poussa un hennissement de terreur, de même que l’une des femmes, et le fermier s’enfuit à toutes jambes avec eux sur le chemin boueux. Les enfants avaient détalé depuis longtemps.
Le soldat balança la tête en arrière et éclata de rire. « Eh bien, eh bien, voyez-vous ça, le Paradis et le Purgatoire marchant main dans la main. Fascinant. Le moins que vous puissiez faire est de baisser votre capuche, madame. Je l’ai fait moi-même. Ou peut-être craignez-vous de vous montrer à visage découvert ? demanda-t-il en essuyant la terre qui souillait le sien. »
D’un geste furieux Rhapsody repoussa son capuchon. Les yeux du cavalier s’arrondirent imperceptiblement. « À présent je sais qui vous êtes. Vous vous appelez Rhapsody, n’est-ce pas ? »
La fureur de la jeune femme s’évanouit sous le choc qui suivit ces mots. « Comment le savez-vous ? »
Le soldat secoua son heaume et en lissa les battants pour leur redonner un peu d’allure avant de le renfiler. « Vous avez étudié auprès de Gavin, et j’ai entendu parler de vous. D’après les descriptions des forestiers, vous ne pouviez qu’être celle qu’ils évoquaient. » Rhapsody sentit un frisson glacé lui parcourir la colonne et le feu qui se déchaînait en elle quelques secondes plus tôt s’évanouit brusquement. « Et pourquoi ça ? »
Il remit son heaume, sans un regard pour Grunthor. « Il ne peut exister qu’une seule aberration de la Nature de cette sorte. Poussez-vous de mon chemin, à moins que vous ne teniez à voir de près les nouveaux fers de mon cheval.
— Vraiment ? Et vous, qui êtes-vous ? Moi je ne connais pas votre nom. »
Le cavalier s’empara de ses rênes. « Non, à l’évidence », dit-il d’une voix monocorde.
Il fit claquer sa langue. Son cheval bondit et disparut au triple galop. Elle eut à peine le temps de se jeter sur le côté et se retrouva tout éclaboussée de boue.
« Eh bien, on a bien ri, dit Grunthor d’une voix lasse. Maintenant il faut y aller. »
Rhapsody épousseta la terre sur sa cape et hocha la tête. Alors qu’elle s’apprêtait à le rejoindre sous les arbres, de l’autre côté de la route, elle entendit une petite voix, à ses pieds.
« Mam’zelle ? »
Rhapsody retint son souffle et baissa les yeux. Elle aperçut un petit garçon, d’environ sept ans, caché dans les herbes sèches du bord de la route. Elle se pencha vers lui et lui toucha le visage, alarmée. « Tu vas bien ? Tu es blessé ?
— Oui, mam’zelle, enfin je veux dire, non, mam’zelle, ça va. »
Elle aida l’enfant à se relever. « Comment t’appelles-tu ? »
Le garçon leva les yeux vers Grunthor et un large sourire illumina son visage. « Robin. »
Le géant lui rendit son sourire.
Rhapsody sentit une boule grossir dans sa gorge. C’était le prénom de l’un de ses frères. Le garçon se tourna de nouveau vers elle.
« Et je connais le nom de cet homme-là, aussi.
— Vraiment ? Et qui est-il ? »
Le garçon sourit d’un air important. « Eh bien, mam’zelle, c’est Anborn. »